ANCRER la problématique universelle des droits humains et de la citoyenneté dans la ville, ce n´est nullement réduire la portée de ces valeurs, mais, au contraire, assumer la cité comme entité émergente des sociétés d´aujourd´hui et de demain.
Déjà, la majorité des populations de la planète habite dans des villes, et la réalité de ce phénomène s´est imposée lors des rencontres mondiales Habitat 2 à Istanboul en juin 1996. Il a d´ailleurs fait l´objet d´un début de reconnaissance par l´admission d´une représentation des fédérations de villes auprès des organismes internationaux. Certaines " bonnes pratiques " locales, imaginées et mises en oeuvre par des villes, ont été considérées comme autant de contributions importantes à l´amélioration de la qualité de la vie des habitants. D´où l´idée que, au-delà de la satisfaction qu´elles peuvent apporter localement, de telles initiatives ont une valeur universelle, et donc vocation à s´étendre à d´autres échelons territoriaux. C´est le cas, par exemple, du " budget participatif " de Porto Alegre (1), qui, comme la majorité des pratiques mises en valeur à Habitat 2, implique, de façon dynamique, les populations dans les mécanismes de décision.
La ville n´est pas seulement un territoire, mais une société. Ce n´est pas un microcosme plus ou moins protégé, mais un espace qui, tout en existant à part entière, est néanmoins intégré au monde et traversé par l´ensemble de ses enjeux. Ces enjeux s´y enracinent dans leur dimension humaine, ce qui permet, en faisant preuve d´imagination et de volontarisme, de leur donner sens et, peut-être, de modifier le cours des choses au bénéfice des populations. Ce n´est pas là la moindre des contradictions de la mondialisation : d´un côté, elle éloigne les sociétés nationales - et plus encore locales - des centres de décision, mais, de l´autre, elle est en quelque sorte rattrapée par des volontés transformatrices qui se manifestent sur le terrain et qui entendent faire advenir des sociétés plus humaines et redonner toute leur place aux citoyens.
Les villes sont des espaces d´appel et d´attraction. Elles cumulent les possibilités en matière d´emploi, de vie sociale, d´habitat, d´équipements et de services publics. Lieux de croisements, de mélange, de métissage, elles peuvent tout aussi bien incarner un avenir du " vivre ensemble " et, potentiellement, du " faire ensemble " que constituer le concentré le plus insupportable des politiques de ghettos, de ségrégation, d´inégalités et d´exclusion. Microterritoires où l´on ne peut que réparer un peu les dégâts de la société - pour peu que l´on y développe une politique sociale -, elles sont en même temps reliées au monde aussi bien par l´histoire que par l´origine de leurs populations. Les tensions, les espoirs des différents continents, tout y trouve écho et tout y est " retravaillé " par un constant frottement des idées et des pratiques qui crée une vraie dynamique.
C´est sans doute dans la ville que se vit le plus douloureusement le " mal-être " , mais c´est aussi en son sein que chaque individu peut le mieux prendre sa place, utile et respectable, dans le mouvement et l´histoire collective d´une société. C´est là que peut le mieux s´exercer la citoyenneté, pas seulement sur les petites choses, mais en tout et sur tout. C´est le lieu où, de manière créative, peuvent s´exprimer la liberté et l´égalité fondamentale des citoyens.
Nous sommes ici au coeur de la logique des deux colloques organisés, ce mois de mai, sous le titre générique " Pour un droit de cité " . Ceux qui travaillent en partenariat avec Barcelone depuis deux ans - et Saint-Denis est du nombre - sont convaincus que la ville est bien le territoire adapté à la refondation de la citoyenneté, et l´espace pertinent pour l´expression et la mise en oeuvre concrètes de la philosophie des droits humains. La Charte des droits de l´homme dans la ville (lire, page III, l´article de José ManuelBandrés), thème du premier colloque, est donc la déclinaison, au niveau municipal, d´une exigence de liberté et de responsabilité constitutives d´une société qui se construit à de multiples voix, mais dans un " en commun " réel.
Le droit de chacune et chacun à participer au devenir de sa cité, donc de contribuer à l´élaboration des décisions qui s´y prennent, est partie intégrante de l´exercice de la citoyenneté. C´est pourquoi le deuxième colloque, portant sur la démocratie participative, s´arrimera tout naturellement à la Charte. La construction de réseaux de villes partageant cette double démarche devrait permettre à cette réflexion de se poursuivre dans les mois et les années à venir.
(1) Lire Bernard Cassen, " Démocratie participative à Porto Alegre " , Le Monde diplomatique, août 1998, et Tarso Genro et Ubiratan de Souza, Quand les habitants gèrent vraiment leur ville. Le budget participatif : l´expérience de Porto Alegre, Editions Charles Léopold Mayer, Paris, 1998.